Emmanuel Macron, ministre de l’économie, confie au Monde ses réponses aux crises dont souffre la France.
Croissance en berne, envolée du chômage aussi forte que sous Nicolas Sarkozy, départ des grands groupes français : le gouvernement est-il en échec ?
Emmanuel Macron : En 2015, l’économie française a retrouvé une croissance, encore trop faible, mais une croissance que nous n’avons pas atteint depuis 2011, la consommation se tient, l’investissement repart, l’emploi aussi, mais trop mollement.On est donc dans une situation moins noire, mais néanmoins pas satisfaisante. C’est ce qui a conduit le président de la République à parler d’un état d’urgence économique et sociale qui n’est pas un état d’échec.
Le contexte est très favorable avec un euro, des taux d’intérêt et un pétrole faibles…
Oui, mais nous n’avons pas pu bénéficier à plein de cet alignement favorable en raison du très fort ralentissement chinois, de l’affaiblissement des pays émergents, d’un contexte européen insuffisamment favorable à la croissance tout comme des rigidités de l’économie française. Le devoir qui est le nôtre, c’est d’« acter » que la croissance ne viendra pas de l’extérieur, tout comme la réponse à nos difficultés économiques. Elle dépend d’abord de nous et de notre volonté.
La politique européenne est pourtant favorable à la croissance, avec la fin de l’austérité budgétaire…
Non. Et à court terme, nous devons prendre des mesures à impact fort pour doper la conjoncture. En Europe, nous avons eu une politique monétaire qui a pris tous les risques, avec des taux d’intérêts aujourd’hui négatifs. Mario Draghi [le président de la Banque centrale européenne] a été au bout de ce qu’il pouvait faire. La réponse passe donc par un « new deal européen » : des réformes profondes qui doivent être poursuivies dans plusieurs pays notamment en France et une politique de relance beaucoup plus volontariste au niveau de l’Union européenne et de certains Etats membres. Cela veut dire pas de surconsolidation allemande et une politique d’investissement beaucoup plus forte au niveau européen.
Vous prônez donc plus de déficit en France ?
Pas du tout. Nous devons rester sur notre trajectoire budgétaire et réformer notre économie. La politique budgétaire pro-active ne doit pas être faite par la France, contrairement à ce qu’elle a toujours fait. Car la clé, si nous voulons une relance au niveau européen, c’est la crédibilité vis-à-vis de nos partenaires et donc nos réformes.
Mais la désindustrialisation se poursuit…
On ne stoppe pas une désindustrialisation en trois ans. Elle est le fruit de sous-investissements coupables, et d’une compétitivité française qui demeure encore insuffisante. Il y a eu des choix parfois non patriotiques et une sorte d’irresponsabilité économique et de cynisme qui s’est emparé des élites qui trop longtemps n’ont pas voulu regarder les réformes à faire pour les uns ou investir dans leur pays pour les autres.
Notre stratégie de réindustrialisation passe par une politique de l’offre et de compétitivité. Elle implique une politique d’investissement privé qui doit viser une montée en gamme de notre appareil productif.
Vous avez deux modèles. Des pays réindustrialisent en ayant drastiquement baissé les coûts et les salaires et « flexibilisé » brutalement le marché du travail. C’est le modèle espagnol et britannique. Est-ce un modèle durable et souhaitable sur le plan social ? Je ne le crois pas.
Donc, le plein-emploi britannique n’est pas souhaitable ?
Ce n’est pas l’idéal type. Il faut regarder lucidement nos faiblesses. Nous avions un coût du travail trop élevé, mais l’essentiel c’est la montée en gamme, la compétitivité hors coût : c’est beaucoup plus le modèle allemand. C’est pourquoi la priorité de notre politique économique, c’est l’investissement privé productif.
Et sur le marché du travail ?
La croissance n’est pas assez riche en emplois. Et ce n’est pas une fatalité. Je ne suis pas de ceux qui disent qu’on a tout fait pour l’emploi et le marché du travail, c’est faux. Depuis douze mois, 24 des 28 pays européens ont baissé le chômage. Nous sommes dans les quatre pays européens qui n’ont pas réussi à le faire. Je l’ai dit après les attentats terroristes, notre économie est celle d’une société bloquée où la mobilité est à l’arrêt. C’est ce couple stagnation-absence de mobilité qui nourrit les populismes. Le cœur de la réponse que nous devons apporter, c’est une réponse économique et sociale.
Au fond, votre plan c’est « l’uberisation » de l’économie…
Notre choix c’est d’ouvrir notre économie et de créer davantage de mobilité sociale. Quand on ouvre les données, quand on permet d’innover beaucoup plus rapidement, on casse des corporatismes, des rigidités, la capture de certains marchés par les « insiders » [ceux qui ont déjà une place sur le marché de l’emploi].
On a l’impression qu’entre les politiques de solidarité – les minima sociaux et le chômage – et le CDI dans un grand groupe, il n’y a pas d’alternative. Ce n’est pas vrai : il doit y avoir une palette beaucoup plus large et un droit à l’initiative économique. On doit renforcer la situation de ceux qui rentrent sur le marché du travail ou les aider à créer leur entreprise. Bien sûr, ce n’est pas un système parfait, peut-être certains échoueront-ils, mais on le voit avec l’exemple qu’offre Uber dans la région parisienne : des gens souvent victimes de l’exclusion choisissent l’entrepreneuriat individuel, parce que pour beaucoup de jeunes aujourd’hui, c’est plus facile de trouver un client que de trouver un employeur. Ils se lancent, ils travaillent plus, la rémunération ne suit pas toujours, mais ils ont accès à l’activité économique et à des perspectives de mobilité.
Pour porter ces réformes, y aura-t-il une loi Macron 2 ?
J’ai soumis au président et au premier ministre des réformes d’impacts forts. Dans les grands axes, il y a cette volonté de donner beaucoup plus de place à l’entrepreneuriat individuel, donner beaucoup plus de simplicité aux TPE et PME dans leur parcours de croissance sur le plan fiscalo-social et réglementaire. Je veux revenir sur les exigences excessives en matière de qualifications professionnelles pour exercer certains métiers dès lors qu’il n’y a pas de risque pour la santé ou la sécurité du consommateur et des travailleurs : on a parfois créé des barrières en disant que c’étaient des gages de qualité. Le succès de l’hôtellerie et de la restauration montre que l’on peut atteindre l’excellence sans avoir besoin de barrières à l’entrée. Il y a là un levier d’emplois considérable. Nous souhaitons aussi revenir sur les prud’hommes afin de parachever la réforme engagée dans la loi croissance avec l’instauration d’un plafond pour les indemnités prononcées.
On croyait qu’après le 13 novembre, l’Elysée et Matignon ne voulaient plus que les débats parlementaires se focalisent sur vous et l’économie…
Ce dont notre pays a besoin, c’est de cohésion et de sécurité, mais, en même temps, de réformes et de perspectives. Les Français veulent non pas un optimisme béat mais savoir où on va, ce qu’on propose pour le pays. Ils sont lucides. Nous devons être à la hauteur de l’état d’urgence économique : c’est le moment pour engager de nouveau de grandes réformes.
Concédez-vous des erreurs depuis votre arrivée au pouvoir en 2012 ?
Oui, on aurait dû réagir plus vite plus fort et avec plus d’audace au début, et à cet égard j’ai ma part de responsabilité en tant que conseiller, à l’époque, du président de la République. De même, sans doute aurions-nous dû nous attaquer plus frontalement aux rigidités de notre système institutionnel. Ce sera, j’en suis sûr, une question centrale en 2017.